La préhistoire

Le paléolithique, ère de la pierre taillée, origines du peuplement.
Les temps géologiques se comptent en milliards d’années, vient ensuite la mince frange des temps préhistoriques où l’homme est apparu : Plusieurs centaines de millénaires pendant lesquels notre Petite Montagne était déjà habitée. C’est à Gigny, dans la vallée du Suran, que les archéologues ont étudié les plus vieilles traces que l’homme de Neandertal a laissé dans le sol jurassien : De 150 000 à 29 000 ans avant notre ère, environ, entre les deux grandes glaciations, il chasse, et parcoure les vallées de la Petite Montagne pour y cueillir sa subsistance. Il développe un outillage et des armes en os, bois ou silex taillés, ces fameux bifaces acheuléens, effectivement retrouvés, plus de 9 mètres sous la surface du sol, au devant de la grotte de la Baume.

Coupe géologique de Gigny

La stratigraphie au-devant de la grotte de Gigny dénonce une occupation humaine depuis plus d'une centaine de milliers d'années.

Ces travaux préhistoriques nous apprennent également en détail les proies de ces néandertaliens : des espèces actuellement reléguées en altitude (bouquetin, chamois), des espèces forestières (cerf, chevreuil), ou steppiques (cheval), ou enfin des espèces qui ont émigré dans les régions arctiques (rennes, bœuf musqué) ou des espèces disparues (mammouth, rhinocéros).  Ces associations quelque peu paradoxales pourraient résulter de contrastes climatiques très marqués ou tout bonnement d’un territoire de chasse très étendu. [Regard sur la Petite Montagne]
Les restes de poissons sont aussi divers et intéressants :  à côté d’espèces vivant dans les rivières (truite, lotte d’eau douce), la forte proportion de brochet, de « blancs » et de corégone, atteste l’existence de profondes retenues d’eau calme… vraisemblablement nées dans les cours des rivières que l’on connaît.
On apprend quelles furent les successives évolution du paysage et de la végétation, pendant ces millénaires jalonnés par deux grandes glaciations : A partir de -150 000 ans (Strates XX-XVI), une végétation de type océanique (joncs, verne, lèches, plantes aquatiques, bruyère). Puis, à cause du refroidissement, se produit un repli du couvert forestier dans les vallées, et apparaît progressivement (XV-IX) la toundra sur les sols montagneux exposés. Vers - 30 000 (VIII-VII), l’environnement végétal, sous l’effet de conditions climatiques plus clémentes, se modifie profondément avec l’apparition du charme, hêtre houx, épicéa, tilleul, orme. L’abondance des fougères confirme bien une tendance vers des conditions plus océaniques.
Enfin, le climat se dérègle une seconde fois jusqu’à -12 000 (VI-IV). C’est la dernière glaciation où est apparu l’homme moderne de Cro-Magnon, longtemps après que son prédécesseur eut disparu : sa trace se perd dans le sol de Gigny, à partir de - 29 000 ans. Les raisons de l’extinction du dernier des fossiles humains (sic) demeure un des grands mystères de l’histoire de l’humanité.

L’Homo Sapiens Neandertalensis et à fortiori l’Homo Sapiens Sapiens (soient nos cousins Neandertal et nos aïeux Cro-Magnon) pourraient se rebaptiser Homo religiosus : « Le besoin de surnaturel, de métaphysique, est universel … [et] pas plus faible dans les sociétés élémentaires que dans les grandes civilisations historiques »[Gabriel Camps]. De la tribu aux empires, du naturel au civilisé, l’homme ressent toujours la terreur et la majesté du sacré, de ce qui le dépasse.
La première manifestation évidente du sentiment religieux nous est connue par les plus anciennes sépultures, attestant des premiers rites d’inhumation : A ce moment paléolithique, l’homme prend conscience de vivre et de mourir, et il imagine déjà une suite à sa vie dans un autre monde, qu’il a pu avoir déjà visité en rêve. On suppose donc le culte des ancêtres être antérieur à celui des puissances naturelles ou irrationnelles, (les divinités) et que cette première religion naît naturellement de l’expérience sensible, et aussi de l’inconscient collectif.
Une seconde grande étape de la préhistoire religieuse nous est connue par l’Art pariétal qui se développe au paléolithique supérieur, comme dans les fameuses grottes de Lascaux, vers – 15 000. « … il est admis aujourd’hui par la majorité des préhistoriens, que l’art pariétal, celui des cavernes, est un art religieux … profondément ancré dans la vie quotidienne. Si les hommes du paléolithique supérieur ont représenté à profusion aurochs, bisons, chevaux, cerfs et mammouths, c’est parce qu’ils étaient l’objet de leur chasse, de leur préoccupation constante. Les dessiner ou les peindre, fixer leur image, c’était les contenir, les immobiliser, s’emparer … «  de leur puissance vitale avant que les avoir levé, vaincu, et sacrifié. « L’œuvre d’art est donc une manifestation magique… », comme l’étaient tous les objets d’art dont les auteurs préhistoriques s’étaient paré, ou ceux qu’ils exposaient à leur vénération. [Cette conception fondamentalement religieuse de l’art sera aussi importante à considérer dans la suite de notre histoire.] Telles sont ces premières idoles, ces statuettes dites « Venus aurignaciennes », dont les formes plantureuses indiquent assez au chercheur leur caractère sacrément féminin, non seulement symbole de « fécondité et de procréation », mais aussi symbolique de ce que nous avons d’abord dénommé force de vie, la nature diraient les philosophes. Ce culte à caractère féminin, voué à la terre mère, imprégnait alors leur cachet matriarcal à toutes les structures sociales. De telles sociétés tribales ont naguère fait connaître à l’ethnologue leur culte qualifié de shamanique : cette prétendue religion, inclassable par sa diversité, où l’initié est avant l’heure curé, c'est-à-dire « médecin des âmes ». Pour ces sociétés traditionnelles et tribales (certains les qualifiant encore de primitives), le shaman est celui qui maîtrise l’Autre Monde du Rêve, et ses esprits bénéfiques ou malins ; il est ainsi celui qui a le pouvoir de guider les défunts dans leurs dernières demeures. Les costumes de ces personnages hors du commun sont confectionnés à l’image de leur animal totem : ornés d’os ou de dents, ils révèlent ainsi secrètement l’origine paléolithique (ou de tribu de chasseurs cueilleurs tardives) que l’on peut supposer au shaman, qui était chargé de se concilier magiquement abondance d’âmes de gibiers.
Des femmes pouvaient aussi bien devenir shaman, après des périodes d’enseignement, d’expériences, et d’épreuves initiatiques destinées à les faire renaître à cheval entre les mondes visibles et invisibles. Néanmoins, dans une autre catégorie d’officiant sacré se trouvaient alors majoritairement les femmes, non dans l’office par l’âme, mais par celui de la Nature elle-même. Elles étaient en effet bien plus savantes dans l’art de guérir par les herbes et autres préparations naturelles, transmises oralement de mères en filles de façon immémoriale.
Aujourd’hui et ici, de cet Art thérapeutique premier, il reste quelque chose avec les recettes de « bonnes femmes » qui furent de « bonne renommée ». Mais plus évidement l’autre médecine, celle des âmes, se retrouve jusqu’à nos jours, autour d’Arinthod comme dans toutes les campagnes, dans l’exercice des rebouteux aux dons réputés se léguer dans un foyer que l’on venait volontiers consulter pour une entorse ou un plus grave mal.

Le néolithique, l’ère de la pierre polie : les premiers cultivateurs
Comme le suggère son nom, c’est une période majeure d’évolution des sociétés humaines : Pendant le VIème millénaire avant J.C. les hommes modernes abandonnent la chasse, la pêche et la cueillette, leur antérieur mode de vie sauvage et nomade, pour enfin fonder les premières civilisations basées sur l’agriculture. Ils élèvent des troupeaux, récoltent le blé l’orge ou le pois pour l’alimentation. Le lin, cultivé, filé et tissé, fournit les vêtements. Toutes les nouvelles cultures font reculer d’autant les massifs forestiers post-glaciaires ; le défrichement s’opère progressivement, en enlevant l’écorce des arbres à abattre plus tard, ou à la hache.

Cet objet est même emblématique de cette nouvelle ère, où l’homme apprit à polir les pierres les plus dures. Ces haches sont bien sûr des outils, mais aussi pour l’archéologue « des marqueurs de statuts social du défunt ». Leur grande valeur pour leurs détenteurs vient de ce que peu de gisements minéraux se prêtent au mieux à leur confection : serpentinites, jadéites, et les roches vertes provenant des Alpes et des moraines.  Insistons sur la valeur sacrée de ces objets, ces haches marteaux, chargés des plus hauts pouvoirs, et d’une grande utilité à l’économie néolithique : Défricher, construire une maison, un enclos à bétail n’était pas possible sans cet outil emblématique, et alors certainement considéré comme magique, par le fait même de sa puissance de travail. Le marteau était déjà le résultat d’une longue évolution depuis le paléolithique, aboutissant finalement à la hache, ce qui lui conférait aussi une forte charge symbolique…

Une autre découverte majeure révolutionna l’industrie et l’économie humaine, et étendit ainsi également ses effets à tout l’inconscient individuel et collectif : La céramique, permettant une meilleure conservation des subsistances, est aussi l’aboutissement de la maîtrise des éléments terre et feu. Désormais, l’homme sait qu’il peut, en quelque sorte, créer de la pierre à sa guise. Remontant à 4500 ou 4700 ans avant J.C, « le fragment d’un vase à anse et à téton, les tessons d’une coupe apode, quelques éclats de silex et une dent humaine », qui furent exhumés d’une fosse au devant de la grotte de Gigny, sont les premiers témoignages d’une culture néolithique en Petite Montagne.

De cette période où apparaissent les premiers cultivateurs de notre sol, ont été effectivement retrouvé des pierres polies avec grand art : A Présilly, non loin d’Orgelet, deux haches de roche verte venue des Alpes et travaillée en Suisse, ont été déposées dans une tombe vers le milieu du Vème millénaire avant notre ère. Cette découverte « n’est pas isolée dans la Petite Montagne ; d’autres grandes lames polies ont été découvertes autrefois dans les labours à Cressia, Gizia, Rosay, Loisia, Essia, Arinthod, Cesancey, Sainte Agnès, Orbagna, Beaufort, aujourd’hui conservées au musée de Lons le Saunier… A partir de 4 500 ans avant J.C., on assisterait donc à une densification évidente de la population. »

Avec ces avancées techniques se décide le nouvel ordre économique et social qu’est le néolithique. L’homme maîtrise maintenant mieux l’espace en faisant reculer la forêt, il modèle le paysage avec ses champs, et se fixe durablement en communautés plus populeuses, dans des campements plus durables. Il invente alors les premiers villages et les premières maisons : une construction presque entièrement en bois, à paroi en dosses ou en clayonnage et à toit très pentu couvert de chaumes. Une telle architecture faisait la symbiose entre le milieu naturel transformé par l’homme (la forêt qui fournissait les bois d’œuvre, la filasse d’écorce pour les liens, les fascines des clayonnages) et les milieux directement gérés et reproduits par les cultivateurs (en particulier les champs de blé et d’orge qui fournissait les chaumes pour une couverture résistante et durable). Classiquement, cette petite maison, de 7 à 13 mètres de longueur pour 4 mètres de largeur moyenne, était ubiquiste et son architecture pouvait être adaptée à des ambiances très différentes, si tant est que l’équilibre entre forêt et cultures céréalières était encore respecté. Le mode de construction de la maison est important pour comprendre l’évolution sociale au néolithique, car la couverture en chaume exige la participation d’une communauté élargie, alors que la charpente et le gros œuvre sont pris en charge par la famille restreinte, l’unité sociale élémentaire. Pour s’entraider, les familles s’assemblent pour former des très gros villages, de 12 à 50 maisons, ou bien les villages éclateront en de multiples petits hameaux, en période de crise des organisations sociales, parce que le retour à l’indépendance des unités élémentaires est la solution la moins onéreuse, socialement, pour régler des déséquilibres momentanés. Malgré des crises toujours possibles, la démographie en forte croissance a entretenu ce mouvement de sédentarisation et de densification de l’habitat. Mais peu de ces habitats néolithiques ont été retrouvés dans notre pays, car ses terres les mieux connues des archéologues restent les grottes, qui semblent être abandonnées à cette période, ou servir pour la sépulture. Ainsi à Gigny, c’est seulement de la fin du néolithique que date la plus ancienne sépulture locale, première manifestation certaine d’un rite d’inhumation pour le passage vers l’autre monde. Le défunt portait en outre un collier, dont on a retrouvé les perles, caractéristiques de la culture campaniforme, et les pendeloques, dents perforées, prises à des loups, ours, chien et renard.

Cette parure devait avoir pour son propriétaire, beaucoup de valeur, de pouvoir, de sacré, pour qu’elle l’accompagne ainsi dans son trépas : la dent est la pointe de la force animale, et son ivoire émaillé est des plus dur matériaux organiques. C’est un signe d’éternité que l’homme s’approprie, avec le perçage, l’assemblage, et la parure des dents de l’animal dont il a pris la vie ; ce bijou rituel est comme destiné à le relier à la force de vie de l’animal.

L’habitat néolithique se concentre à proximité des ressources naturelles comme le sel, présentes dans la combe d’Ain, conséquemment plus peuplée que la Petite Montagne depuis les débuts du néolithique. Tout près, la région des lacs de Chalain et Clervaux est le théâtre d’une forme de cité originale, lacustre, qui retranchait ses habitants aussi bien qu’une traditionnelle place forte. Un tel habitat a pu être, beaucoup plus tard, le cadre de vie du pêcheur dont le couteau en bronze a été retrouvé par un particulier attentif aux travaux de voirie près du lac de Viremont. Ce petit lac d’altitude, situé entre Arinthod et Orgelet, n’aurait il pas été colonisé plus tôt par ces hommes dont on retrouve les cités sur les lacs de notre grande région ?

Néanmoins, dans notre Petite Montagne, de grandes communautés néolithiques ont pu se développer « sur des points hauts du paysage, des buttes témoins, des extrémités d’éperon… ». Tandis que « l’agriculture restait pratiquée dans le cadre de hameaux déplacés chaque fois que les champs se trouvaient envahis par les ronces et les rejets de souches ».

A la fin du néolithique, environ 2500 ans avant J.C., l’ensemble de nos régions est touchée par un nouveau phénomène culturel, celui-ci d’importance européenne, la civilisation des gobelets campaniformes, ou en forme de cloche : « d’abord décorés d’impressions de cordelette qui couvre toute la panse, puis, d’impressions au peigne, disposées en registres horizontaux complexes. » Les fragments d’un tel gobelet, utile à l’ultime libation d’un défunt, ont été reconnus sur la rive Valousienne occidentale, dans la grotte du moulin de Genod, petit territoire non loin de Dramelay.

Selon un spécialiste de la préhistoire comme Gabriel Camps, « la répartition et l’unité fondamentale de la céramique campaniforme [en méditerranée occidentale et en Europe orientale] sont déjà un sujet d’étonnement. » Comme si une civilisation s’étendait déjà sur le vieux continent, des millénaires avant notre ère…
L’origine de cette culture a fait débat, mais elle pourrait se situer au Portugal ; de là, elle voyagea par voie d’eau, jusqu’aux contrées rhénanes. Remarquons qu’après la civilisation mégalithique, il est curieux de voir une deuxième civilisation naître au bord de l’Atlantique, et s’épanouir par les mers et les fleuves.
Les découvertes sont irrégulièrement réparties : un « nombre important près dans les zones près du littoral … avec [en France] une concentration remarquable en Roussillon et Languedoc occidental, en Provence et dans le couloir Rhodanien » Ces vases, parmi les plus caractéristiques et artistiques de ces temps, voyagèrent ainsi jusqu’à Genod. Les cultures néolithiques s’étaient ainsi succédées en Petite Montagne, d’origines tantôt nord orientales, héritées des premiers colons de la vallée du Danube, tantôt méridionales, venues du foyer méditerranéen par le sillon rhodanien.

La civilisation mégalithique locale.

Selon [Regard sur la Petite Montagne], c’est pendant cette longue période néolithique, vers le Vème  millénaire avant notre ère, qu’ont pu être levées, par des hommes dont nos qualifions la civilisation de mégalithique, les menhirs de notre Petite Montagne : Ces mégalithes ne sont plus intacts, contrairement à celui de Simandre, dans l’Ain, tout proche. Si néanmoins maints monuments mégalithiques nous restent, ils sont présumés naturels, et seuls deux, aujourd’hui disparus, étaient attestés de facture humaine : La Pierre Vesvre ou Couqueresse [insert photo Regard], entre Fétigny et Savigna, et, non loin, la Quenouille des Fées, dans le bois de la Fâ, à Montjouvent. Ici, comme en Bretagne, et, généralement, autour de presque tous les littoraux de la planète, ces peuples mégalithiques, réputés justement être venus de la mer, nous ont laissé leur témoignage titanesque et les mystères technique du levage de ces aiguilles lithiques monstres. Le mythe traditionnel fait provenir d’un continent abîmé dans l’Atlantique, tous les vaisseaux sensés s’être égaillés ensuite par les rivages et les fleuves navigables. Cette tradition reconnaît ainsi une grande supériorité technique à ces navigateurs obligés de venir civiliser d’autres continents. Quoiqu’il en soit de ce continent mythique, remarquons que la révolution néolithique est contemporaine de l’érection de ces pierres géantes, et des bouleversements dans le climat après la dernière glaciation . Et même si la diffusion des techniques agricoles est sensée rayonner depuis le proche orient, des interactions ont bien du se produire entre ces deux événements, l’un cultuel, les mégalithes, et l’autre culturel, l’agriculture.

Premiers mégalithes = naturels.
Symbolique et culte de la pierre… cf gargantua
(Les Alésias… cf guichard)
Divers monuments : menhirs…

La Pierre Vesvre, ce « Menhir de dix pieds de haut sur huit de diamètre, surmonté d’une croix, … fut brisé en 1794 », et plus tard réduit à néant par l’explosif (Monnier et Vingtrinnier, traditions populaires comparées, p 594 ; Monuments mégalithiques du Jura, M. Savoye, soc d’anthropo de lyon, 3 mars 1900) Voici ce qu’écrivait Monnier en 1819 : « sur une colline très élevée qui sépare les communes de Fétigny et Savigna, on trouve les débris d’une roche isolée connue dans le pays sous la dénomination de Pierre Vesvre ou Couqueresse… [elle] ne tenait point au sol, et était percée de deux trous dans le haut, de manière à recevoir une autre pierre terminée en pointe, ce qui constitue cette espèce de monument gaulois connu en France sous les noms de pierres levées, pierres des fées », ou encore pierres-qui-vire. En effet, la deuxième pierre portée par le menhir pouvait « virer », tourner, si on lui appliquaient une force dans une direction précise, à un point précis. En revanche, cette pierre ne bougeait pas d’un pouce si on la poussait dans une autre direction. Ce système, et les légendes qui subsistent autour de ces monuments suggèrent qu’ils furent effectivement, comme l’affirmait Rousset, un « objet de vénération », pendant une cérémonie annuelle, en correspondance symbolique avec les solstices solaires. Cette vénération avait à quelques endroits perduré, ainsi celle d’une autre « pierre qui vire » située près de Poligny, « à mi chemin du sommet du Mont Saint Savin… Le jour de la fête du Saint, les corporations religieuses participaient à une procession générale, jusqu’au rocher, auquel chaque habitant donnait l’accolade. La révolution a brisé cette vénération, apparemment idolâtre, sans nous laisser les raisons profondes qui animait le peuple. Il ne reste qu’un stupide conte où un vilain géant est puni de sa lubricité par une brutale pétrification ; comme l’alignement des armées de Carnac. » [le livre des mystères du Jura, Roger Jay, La Taillanderie, 1995, Bourg en Bresse] Pour que la fureur révolutionnaire ressenti le besoin de détruire ce menhir, il devait effectivement être encore l’objet de la vénération populaire, venue du fond des âges paysans. … superstitions en bretagne : fertilité, etc
L'historien ancien Chevalier nous décrit cette pierre qui vire [M David de Saint Georges, recherches sur les antiquités celtiques et romaines des arrondissement de poligny et saint claude, imp A Javel, Arbois, 1845] : « masse de rocher arrondie, de trente pieds de circonférence, servant de base à une figure conique élevée par dessus  ; composé de deux pierres taillées et dressées au ciseau pour porter juste et à plein l'une sur l'autre ; celle qui terminait le cône a été renversée, le reste subsiste ; les habitants du pays appellent ce monument la pierre qui vire parce que le soleil la tourne, et que , par l'ombre qu'elle jette, elle indique les heures du jour. Le roc percé qui portait le simulacre a été aussi taillé dans sa face supérieure aplanie et dressée au ciseau. »

A Dortan, en face de Condes, au confluent de l’Ain et de la Bienne, un membre de la société royale rapportait de façon hautaine l’usage du peuple près d’une autre « Pierre qui vire » : « La tradition vulgaire est que c’était là un point de réunion des sorciers, et que cette pierre tourne à la Noël et à la Saint Jean, à l’heure de minuit ». Les gens des localités au bords de la Bienne, depuis Morez jusqu’à Condes, célébraient encore nombreuses au XIXème siècle, les feux de la Saint Jean, surnommés les « Beaux », en mémoire de leur origine païenne : les feux de Bel, cet ancien Dieu solaire dont le nom reste à Condes dans le lieu dit « curtil mas belin », ou l’on retrouve beaucoup d’antiquité. Au nord du village, se trouve aussi la montagne du « solier » ou du soleil. Ce dieu solaire était souvent honoré par l’entremise d’un aiguille mégalithique naturelle, ainsi près Condes se trouve « la dame de la manche », à la grange Verchamps, du côté de Coisia [D Monnier, Croyances et traditions populaires…]. Une autre commune toute proche, Ufelles, porte le nom même de l’élément igné, venu de la langue gauloise.[selon DM, ufel est le gaulois pour feu]

Ces éléments d’un culte solaire tranchent avec ceux de la religion du paléolithique, par leur caractère masculin. La société d’alors pouvait être en train de devenir plus patriarcale, mieux maîtrisée par les hommes. Le soleil fut donc l’objet d’un culte important, ce qui est par ailleurs, logiquement explicable par le passage à l’économie néolithique : l’agriculture fait reconnaître à l’homme la source de ses bienfaits. Elle lui impose aussi désormais une nouvelle base de perception temporelle : autrefois établi sur les cycles lunaires, le calendrier se base désormais sur les révolutions solaires.
Des fragments d’un tel calendrier gaulois ont été retrouvés dans le pays Valousien, au pic d’Oliferne ; d’autres au fond du lac d’Antre, au bord de l’Ain ; et un autre plus important à Coligny, constitue le plus important texte gaulois connu à ce jour. [cf Le cal gauloi…]
Interprétation du culte devant ces pierres : cf gargantua
Ces monuments participent peut être à l’asservissement ou du moins à la police, l’émerveillement, d’un peuple crédule devant les prétendus miracles annuels du prêtre roi, qui faisait d’un simple geste tourner la pierre sommitale, comme, pouvaient ils dire, l’astre tournait autour de leur horizon, au moment où il atteignait son minimum, au solstice d’hiver. Le prêtre roi put être ainsi le garant de sa communauté agricole, comme le shaman l’était de la communauté chasseresse qui reconnaissait ses pouvoirs.

La cité mégalithique de La Boissière.
Nous devons à M. Hugon, ancien instituteur de Savigna, les fouilles sommaires qui ont mis au jour, au début du XXème siècle, tout proche de notre village, aux confins de La Boissière et Montrevel, un habitat de cette époque mégalithique : « 1° Des emplacements de casescreusés dans le rocher ; 2° Les premières assises de murs très nombreux … ; 3° Des amas … dispersés… dans l’enceinte ; 4° … une citerne circulaire, ayant 3 mètres de profondeur sur 1,45 mètres de diamètre, formé d’un revêtement intérieur de pierres assez grosses sans mortier ni ciment, posé à même la marne Oxfordienne, sous sol de la forêt. » Les archéologues modernes ont en effet reconnu des « vestiges anhistoriques : puits, réseaux de murs en pierres sèches formant des enceintes, excavations généralement ovales, énormes tas de pierre, morceaux de tuf taillés matériel mobilier peu important… » comme l’extrémité de l’anse d’un vase d’airain, et le fer d’une hache Gallo Romaine. (voir fig. et plan) Ces dernières trouvailles sont d’époques différentes, attestant la longue ou répétée occupation de ce lieu : lors d’une épidémie de peste, au XIVème siècle, il servit encore de refuge à la population du bourg et de la ville de La Boissière.

Tous ces vestiges sont aux lieux dits « en Châtillon » et « sur le Puits », mais s’étendent sur plus de 5 hectares dans les bois de la Côte d’Ambre. « La partie méridionale de cette montagne forme un plateau allongé, bordé à l’ouest par une suite de rochers à pic, formant la limite des cantons d’Arinthod et de Saint Julien ; à l’est, il est limité par une arête rocheuse, qui s’en détache vers le nord et s’allonge au sud presque parallèlement à cette chaîne. Le plateau ainsi formé a, vers le point en question, une largeur de 55 à 60 mètres. (voir carte topo) A l’est de ce plateau, au bas de l’escarpement, est une source ou mare intarissable, n’ayant aucun écoulement apparent… ».  Ajoutons qu'ici est le lieu dit "sur le Laret", trace toponymique d'un laraire, lieu de culte gallo romain, isolé au bord d'une ancienne voie que la dénomination voisine des "terres blanches" nous rappelle ; et nous nous y expliquerons mieux la présence de la hache Gallo Romaine sus citée. (Cette voie liait peut être Dramelay à la grande voie Besançon-Lyon qui passait près de Monnetay)

« Dans la partie sud de la forêt, sont rangés en demi cercle, sept énormes blocs de pierres ; le plus grand mesure 2,75 mètres de longueur et 1,20 mètres au dessus du sol. » (voir photo)  La disposition hémicirculaire et l’orientation semblable de ces blocs mégalithiques révèlent évidement un usage spécifique. Nous sommes certainement devant les restes du cœur de cette mini cité, où ses sages et puissants, ses chefs spirituels et temporels, s’assemblaient pour mener politique et justice, comme cela put être pratiqué autour de la Pierre Hénon [du grec, pierre des sages] à Arinthod. A ce cromlech rudimentaire, « dans la partie concave de ce croissant qui a 5 mètres environ de diamètre intérieur, vient aboutir une sorte de chaussée ou amas allongé de menues pierres … », qui put, elle, servir de voie processionnelle à ces prêtres rois aux attributs divins.

M. Hugon ni les scientifiques aujourd'hui ne risqueraient à avancer de telles hypothèses. L'auteur des fouilles conclue cependant en imaginant que « … ces lieux ont été habités… par des populations vivants dans les bois, au sommet des montagnes, connaissant la poterie faite à l’aide du tour, mais dont les habitations étaient formées d’une partie souterraine, souvent creusée dans le roc, et d’une partie aérienne, probablement en bois et couverte de gazon ou de roseau. De plus ces populations ont entouré leur station d’une enceinte de muraille épaisse ; ils ont établi aux abords, sur un mamelon élevé, un poste d’observation au sommet duquel … des guetteurs devaient surveiller les environs et signaler l’approche d’ennemis. Ces populations, ayant été dispersées peut être par les hasards des combats et des fléaux naturels, ou bien cherchant… d’autres climats, quittèrent ces lieux qui redevinrent déserts… la nature reprit bientôt ses droits en recouvrant le tout de sa luxuriante végétation. »

Mais bien des questions restent sur ces populations qui ne nous ont guère laissé à apprendre sur leur économie, cultivatrice ou pastorale, ni a fortiori sur leurs croyances. Néanmoins d'intéressantes correspondances pourront être établies avec les autres traces mégalithiques dans la vallée, en ayant à l'esprit les généralités que nous pouvons dégager sur cette étrange culture mégalithique...


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