Croyances et traditions populaires ...

Par Désiré Monnier, 1874.

Les fées de la pierre Hénon

Le vallon de Vogna est le plus duidique et le plus féerique d'Arinthod avec celui de Cornod qui fourmille de traditions curieuses. C'est là que se voyait naguère la "selle à Dieu" et que se voit encore la "pierre Hénon".

La "selle à Dieu" a été brisée et renversée en 1838, par quelque personne animée du génie de la destruction. C'était un rocher brut, d'un configuration singulière. Isolée dans un terrain vague, elle s'élevait comme un verre à pied, étant plus resserée vers le milieu de sa hauteur qu'à ses extrémités. Il y avait une place pour s'asseoir, naturellement formée, car il ne paraît pas que le ciseau ait aidé à déterminer cette façon de siège. Il était resté dans les traditions locales que là jadis venait s'asseaoir le juge de la contrée pour entendre les causes du peuple.

On cite plus d'un exemple de pareils tribunaux ... M. Cambry en cite plusieurs exemple en d'autres pays : "près du vaisseau des grecs, les juges qu'Homère nomme vieillards, rendent la justice sur des sièges de pierre. Les juges ou les anciens juifs, dans l'écriture, sont assis aux portes des villes. J'ai vu une chaire de pierre à Melun, qui servait jadis à cet usage ... "

La pierre Hénon est un énorme cube de pierre brute d'environ douze mètres de hauteur, qui, en tombant du front des rochers voisins, s'est arrêtée, peut-être par hasard, sur une de ses pointes ... Sa position dans la plaine est d'autant plus étonnante qu'elle a une espèce de base élevée en mamelon au-dessus du niveau du sol. Autour de ce genre de monument de la nature, dont nos pères semblent avoir fait un thème religieux (car nous le regardons comme tel) j'ai remarqué, dans le temps, des pierres ayant sans doute servi de sièges, et placées à quelques mètres du point central, lesquelles auraient formé un thême céleste, si elles avaient été disposées sur les quatre points cardinaux, mais d'ailleurs il en manque une.

Hénon est un mot celtique et breton qui signifie vieillards, de même que le mot grec henos.

Les cavités que montrent sur plusieurs points la ceinture de rocher qui forme le fer à cheval de ce lieu retiré, sont peuplés de génies plus ou moins bénins, surtout par des fées. Une d'elle, sans doute, fut prise, au commencement du dix-septième siècle, pour une sorcière. On dit qu'elle fut assassinée à coup de fourche et de pierres, à la fontaine Jacquet, par les femmes de Vogna et de Neglia. C'est une erreur, les fées sont immortelles et ne succombent pas sous les coups de fourches : il faut croire que la malheureuse était bien une de ces tristes créatures qui se croyaient jadis des pouvoirs surhumains, et qu'ils n'en avaient pas seulement assez pour échapper à leur condamnation, ni même à la pauvreté.

Un homme du pays, trop esprit fort pour croire aux appartitions surnaturelles, me rapportait autrefois ce que ses compatriotes lui disaient avoir vu. Suivant eux, on voyait quelquefois de jolies dames danser, au crépuscule, autour de la pierre Hénon. Elles étaient fort gaies et parfois moqueuses, mais insaisissables et devenaient tout à coup invisibles.

Il existe, en outre, dans ces parages solitaires, une dame blanche, qui vient souvent percher dans le feuillage d'un grand tilleul, près du château ou de la maison principale. Là, elle reste longtemps en observation, pour tenir note de la conduite des jeunes filles.

On parle aussi d'un cheval blanc, monté par un esprit rouge, sur lequel je n'ai rien appris de particulier. C'est peut-être la monture de Segomon.

Le pégase de Segomon, et le cheval sans tête.

Le pégase de Foncine et celui de Bonlieu, qu'il nous serait permis d'identifier, semble pousser des galops aériens jusque sur le canton d'Arinthod (voir dictionnaire Rousset, Chisséria), aimé des sylphs et des sylphides. La race grecque, dont le séjour antique en ces contrées montagneuses a laissé tant d'empreintes reconnaissables, s'y distingue aisément à ss croyances favorites. Elle s'y entretient encore d'un cheval blanc qui parcourt les airs, comme l'illustre monture de Bellérophon.

On ne dit pas quel est le maîter de ce brillant palefroi, si c'est un beau poète ou un robuste guerrier ; mais, dans un pays tel que celui d'Arinthod, qui s'était voué au culte du dieu de la guerre ; dans un pays qui s'ent rendu célèbre par les chasses terrifiantes du seigneur d'Oliferne et du roi Hérode, qui ne resemblaient guère à des Phoebus, ni l'un ni l'autre, il faut croire que le cheval de Chisséria ne peut être monté que par le dieu gallo-grec d'Arinthod, à qui le romain Paternus, fils de la gauloise Dagusa, a dans le temps érigé un autel, portant l'inscription :

MARTI. SEGOMONI
SACRVM.
PATERNVS
DAGVSAE FIL.
V. S. L. M.

Segomon était une divinité celtique à laquelle sacrifiaent aussi bien les Ségusiaves de Lyon que les Séquanes : il paraît que la colonie romaine de Plancus l'avait reconnu, et lui avait érigé un temple à l'endroit qu'occupe l'antique église de Saint-Pierre, puisqu'on avait incrusté dans un mur de cette églisel'inscription dédicatoire dont on n'a que les mots suivants :

SEGOMONI SACR.

Le savant M. de Boissieu, après avoir textuellement rapporté l'inscription provenant du temple d'Athenacum que voici :

MARTI SEGOMONI SACRVM
ANNVA
... VRBICI. FIL. MARTINVS
SACERDOS ROMAE ET AVG.
... MVNACIO PANSA COS
IN CIVITATE SEQVANORVM
E. GALLIAE HONORES
ET SVIS DECREVERVNT

dit que ce Segomon n'était pas Ségusien et qu'il faut le restituer à la Séquanie, c'est à dire à la cité de Ségones ...

La fée bûcheronne de Cornod

Si l'on s'avisait encore à faire des romans avec des fictions, nous recommenderions à leurs auteurs le territoire de Cornod. Semées parmi leurs compositions, les chimères des vieux âges, qui s'égarent au milieu de notre éclectisme , offiraient de piquants et gracieux contrastes ; car les contes et fables auront toujours le don de plaire et d'amuser.

Il y a des climats privilégiés du territoire auxquels se rattachent plus particulièremement les traditions de ce genre. De ce nombre sont le roc et la prairie de Blouissia, au bord de la Valouse .Cette prairie est exclusivement réservée au pâturage, et très fréquentée par les bergers. Ils y devancent l'aurore et n'en ressortent qu'à la nuit close.

C'est à ces heures de lumières douteuse que leur apparaît la dame Blouissia. Trop de gens, tout à la bonne foi, l'ont vue et l'ont dépeinte, pour douter de l'exactitude du portrait qu'ils en font. Elle porte, disent-ils, un gentil chapeau pendu derrière son dos, et une charmante pannetière à son bras. D'un pas léger, elle passe lestement près de vous, sans qu'on entende même le froissmenent des plis de sa robe. Vous la voyez monter, sans le moindre effort, en haut de la roche d'où tombe en cascatelle le filet d'eau de la Péchouère. Puis la dame disparaît.

D'autres en font une bûcheronne. Ils l'ont vu quelquefois près d'un gros poirier qui a cru à la Condamine, autre climat voisin de Blouissia, et non moins célèbres dans les narrations de la veillée.Cette pièce appartient à la famille Vuillot. On ne sait trop pourquoi a belle fée, devenue bûcheronne, frappait de vigoureux coups de cognée cet arbre fruitier, qui n'était pas de ces arbres stériles que l'on condamne au feu, ou dont on fait descier le tronc pour la menuiserie. Au reste, lorsqu'après avoir entendu très disctinctement le bruit de la hache, vous allez voir si ce grnad végétale est enfin renversé, vous le trouvez debout, intact, sans le moindre indice des coups qu'il a reçus.

Vuillot se rendant, avant l'aube, à la foire d'Arinthod, fut un jour frappé de ce bruit répété, qui venait distinctement de son poirier. Il ne doutait point qu'un délinquant ne se permit d'abattre cet arbre ; mis comme il n'était pas dominé par la passion de l'intérêt, Vuillot ne prit pas la peine de s'opposer à ce vol. Sur le soir, revenu de la foire, il fut curieux de vérifier le fait, visita le poirier de Condamine, et ne fut pas peu surpris de le retrouver sain et sauf. Cependant, il était bien sûr d'avoir entendu retentir les coups de la cognée, et ses compagnons de voayges ne s'y étaient pas mépris non plus. Alors, il était de toute évidence pour eux que la mystérieuse bûcheronne avait travailé ce jour-là.

Or, pour vous dire clairement pourquoi la dame de Blouissia se livre ainsi à un travail qui reste toujours sans résultat, c'est un peu malaisé. Ou cette âme en peine à été condmanée, dans l'autre monde, à revenir en celui-ci expier ses fautes par des efforts superflus, comme les Danaïdes étaient condamnées à remplir d'eau un tonneau sans fond ; ou elle s'amuse à tenir la vigilance des propriétaires éveillée, dans l'intérêt de l'agriculture. Après un laps de tant de siècles, il n'est pas étonnant que les cultivateurs, pour qui cette fable aurait été forgée, en aient laissé perdre le véritable sens.

Les dames de pierre d'Oliferne

Culte du soleil à Condes

Le follet de Cornod

Esprits et servants de Condes

La vouivre de Condes

La chasse d'Oliferne

La chasse du roi Hérode

Désiré Monnier & Vingtrinnier, "Croyances et traditions populaires ... ", Lyon, 1874.


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